Zoom sur la Neuropsychologie

Zoom sur la neuropsychologie

 

Depuis un an, l'équipe du V120 s'en enrichit d'une nouvelle spécialité. M. Paul Taïeb, psychologue spécialisé en neuropsychologie, est chargé de dépister les troubles cognitifs et de préparer en amont le travail de diagnostic de l'équipe gériatrique. Zoom sur une profession encore mal-connue du grand public comme du milieu médical.

 
Pouvez-vous nous éclairer sur votre activité au sein de l'établissement ?
Je suis principalement chargé de l'évaluation des troubles cognitifs des patients hospitalisés au sein du V120 et des consultations mémoire avec les deux médecins gériatres, les docteurs Leurs et Bernachon. J’effectue également des interventions ponctuelles aux EHPAD Arc en ciel et Barbusse et j’interviens sur l’hôpital de jour gériatrique, coordonné par le docteur Madani. Les patients nous sont adressés par un médecin traitant ou par un hôpital. Ils sont d'abord vus par le gériatre, puis par moi, s'il estime que c'est nécessaire, pour un bilan neuropsychologique. Dans ce bilan, j'explore les fonctions cognitives mentales supérieures : à savoir, les différentes mémoires, le raisonnement, les capacités attentionnelles, le langage. Je réalise d'abord un entretien avec le patient qui me permet de prendre connaissances de ses difficultés quotidiennes. Puis je lui fais passer toute une série de tests dont j'interprète les résultats. Ces tests, standards, précis, nous permettent de dépister efficacement et précocement la démence. A partir de tout cela, ainsi que des données d'autres intervenants (la neuro-imagerie pas exemple), je peux soumettre une hypothèse diagnostic. Dans le cadre de l’hôpital de jour, après une sunthèse en équipe pluri-disciplinaire, nous proposons un diagnostic et nous aiguillons éventuellement vers un autre intervenant ou nous décidons de mettre en place un suivi dans le cadre de consultations mémoire.
 
Dépistage précoce : les patients ne présentent donc pas nécessairement de lacunes manifestes. 
Il est même préférable que ce ne soit pas le cas, pour lutter rapidement contre la démence. On m'adressera par exemple un patient ayant un MMS* imparfait, test très rapide nous faisons automatiquement passer à l'entrée en hôpital de jour. Pour que le bilan neuropsychologique ait un réel intérêt, le fonctionnement cognitif ne doit pas être trop altéré : le MMS du patient doit donc être supérieur à 18-19 sur 30. Un MMS légèrement faible est une raison suffisante mais pas nécessaire : il arrive régulièrement qu'on trouve chez un patient ayant obtenu 30 sur 30 des troubles symptomatiques d'une démence que seuls des tests neuropsychologiques plus fins seront en mesure de révéler.
 
Mais les troubles cognitifs ne sont pas forcément liés à une démence...
Non, en effet, d'où la raison de cet entretien que j'effectue avant les tests, sur les antécédents. Il me permet de récoler de précieuses informations sur l'autonomie de la personne, sur ses difficultés quotidiennes, ressent-elle une perte d'appétit, a-t-elle des loisirs, est-elle sujette à des hallucinations. Le témoignage d'un accompagnant peut être, à ce titre, très révélateur. Je m'informe également sur d'éventuels événements récents comme la perte d'un proche. Je me fais, en somme, une véritable idée de la vie du patient. En cas de doute sur le diagnostic, il arrive que je le revois quelques mois plus tard pour noter l'évolution des troubles. On peut alors définitivement trancher sur leur nature, à savoir s'ils sont causés par un début de démence ou par des troubles émotionnels, des syndromes psychiatriques*, de l'anxiété... Nous diagnostiquons cependant beaucoup de maladies apparentées, que ce soit un Alzheimer débutant, une maladie à corps de Lewy, ou les séquelles d'un traumatisme crânien ou d'accidents vasculaires.
 
Un diagnostic n'en cache-t-il pas parfois un autre ? Par exemple, ne peut-il pas y avoir, derrière une dépression, un début d'Alzheimer par exemple ?
Ce peut être le cas, en effet. La dépression est assez banale chez les personnes âgées, liée à la solitude, la mort du conjoint, des problèmes de santé antérieurs. Dans le même temps, elle peut tout a fait être la première étape d'une maladie d'Alzheimer. C'est une façon de s'inscrire dans la démence. Cela étant dit, des troubles spécifiques me permettent généralement de savoir quand une dépression est annonciatrice d'un Alzheimer. Autant il peut nous arriver de prendre des précautions contre une démence pour finalement observer qu'il s'agissait uniquement d'une dépression, autant une véritable démence nous échappe rarement. En vérité, le problème majeur est que dans beaucoup de cas, les patients nous arrivent malheureusement trop tard, quand la démence est déjà évidente. La séance de dépistage est donc en partie obsolète. Elle permettra certes, d'aiguiller le diagnostic sur telle ou telle autre affection mais non plus à proprement parler de dépister un trouble neurologique et donc d'agir efficacement contre.
 
Vous pensez qu'on hésite encore trop à faire passer un bilan neuropsychologique aux personnes d'un certain âge ? Qu'il demeure en quelque sorte un problème de prévention, à l'attention des familles ou des médecins traitants par exemple ?
Pour la famille, il est difficile de s'apercevoir de troubles cognitifs révélateurs. On a souvent des témoignages de type : « Oui, il est un peu sourd » ou « Il radote mais parce qu'il est vieux ». Beaucoup de signes annonciateurs d'une démence contre laquelle nous pourrions agir appartiennent à l'imagerie commune de la vieillesse, que les gens prennent parfois avec légèreté. Dans le champs médical ensuite : il faut parfois plus qu'un simple entretien avec le patient pour se rendre compte d'éventuelles anomalies. Or les médecins n'ont généralement pas le temps. Le patient passe un MMS et on se contente de voir s'il se situe dans la norme ou pas. Comme je vous le disais, un MMS à 30 n'est pourtant pas gage d'une parfaite santé neurologique, et l'âge est toujours un facteur de risque. On adresse parfois en bilan neuropsychologique des gens pour lesquels il ne sert plus à grand chose de réaliser un examen cognitif en profondeur car la démence est évidente : soit au travers un MMS très faible à 12, soit au travers la moindre conversation. A un stade avancé de la maladie, les traitements ne feront qu'agir sur des troubles du comportement, sur l'agressivité, mais pas sur la perte cognitive. Dans le cas d'un MMS à 27 ou 28, le dépistage précoce est intéressant car le médecin gériatre pourra mettre en place un traitement médicamenteux ralentissant l’évolution de la démence. Et c'est sur ce dépistage précoce que nous voulons mettre l'accent ici, à Denain.
 
* MMS: Mini Mental Score